Si l’on veut donner une définition brève du tatouage, elle serait une marque permanente appliquée sous la peau. Il peut s’agir de dessins, de symboles, de figures, d’inscriptions ou toutes autres formes dont l’application consiste à introduire des matières colorantes sous la peau. Toutes les parties du corps peuvent être tatouées du moment qu’elles soient couvertes par la peau. Actuellement, peu d’études se focalisent sur les vraies origines du tatouage. Les plus sérieuses situent les premières apparitions du tatouage dans le Néolithique et remonteraient au moins vers les 3000 ans avant notre ère. Ötiz est le nom donné à l’homme momifié naturellement par la glace découvert le 19 septembre 1991 dans les Alpes italiennes à plus de 3000 mètres d’altitude. A la grande stupeur de tous, son corps présentait des tatouages en forme de lignes parallèles ainsi que 2 inscriptions disposées en croix sur ses lombaires. La datation de la momie la situe à 3255 ans avant JC. Comme les tatouages découverts sur la momie étaient surtout situés sur les articulations, notamment au niveau des genoux et des chevilles, tout porte à croire qu’il s’agirait surtout d’un procédé à but curatif. En effet, la momie étant remarquablement conservée, ses radiographies montraient des maladies, notamment l’arthrose, sur les articulations où les tatouages étaient concentrés. Le plus surprenant est que certains des tatouages étaient placés sur les points d’acupuncture. Jusqu’à la découverte d’Ötiz, les scientifiques s’accordaient à dire que l’acupuncture n’était apparue que bien plus tard, vers les 1000 ans avant notre ère en Asie. Si les tatouages d’Ötiz s’agissaient plutôt de simples lignes, les premiers tatouages représentant des figures plus complexes ont été découverts sur des momies datant de l’âge de fer, vers les 500 ans avant notre ère. Ces dessins concernaient des animaux réels comme des poissons, des cerfs etc.… mais également des êtres imaginaires comme des monstres ou des animaux réels mais avec des constitutions imagées. Ces momies ont été trouvées dans la Vallée de Pazyryk, en Sibérie. D’après les études des scientifiques, ces tatouages étaient réservés à des personnes de hautes classes sociales. Actuellement, la pratique du tatouage s’est élargie dans les quatre coins du monde. Chaque localité présente des différences tant au niveau des inscriptions que des significations. Quoi qu’il en soit, les procédés restent pratiquement les mêmes et concernent toujours l’utilisation de matières colorantes introduites sous la peau. Dans cet article, nous allons nous intéresser surtout à un tatouage polynésien. Voici alors l’art du tatouage des Îles Marquises : Le « Patutiki ».
Le Patutiki, l’authentique tatouage marquisien.
Les Îles Marquises sont situées dans la Polynésie française, dans le sud de l’Océan Pacifique dont elles constituent l’un des cinq archipels. Marquis vient de l’espagnol Marquesas qui signifie Fenua Enata dans la langue marquisienne, traduit littéralement « Terre des hommes ». Lorsque les premiers européens ont découvert ces nouvelles terres, ils étaient subjugués par leur beauté. C’était vers la fin du 18ème siècle et c’était un vrai paradis qu’ils viennent de découvrir à l’autre bout du monde. Cependant, ces terres n’étaient pas vierges puisqu’elles étaient déjà habitées par un peuple dont le charme inspirait la belle nature sauvage. Les polynésiens représentaient la beauté au naturel et vivaient dans une simplicité oubliée par les occidentaux. Ce peuple n’avait aucune pudeur et la nudité était ancrée dans leur culture. En plus des paysages édéniques, les européens étaient fascinés par les tatouages que montraient ces corps dénudés. Très vite, les européens ont compris la place de ces tatouages dans la culture polynésienne. En effet, chaque inscription, chaque motif, chaque symbole sur le corps indiquait l’identité et la personnalité de celui qui les portait. On pouvait facilement reconnaître à quel rang social cet individu appartenait. Ses tatouages indiquaient également sa hiérarchie dans le groupe ainsi que son appartenance généalogique. Les tatouages pouvaient également raconter l’histoire de chaque polynésien qui inscrivait sur son corps les faits marquants de sa vie.
Pour cerner réellement le rôle de ces tatouages polynésiens, il faut comprendre que cette civilisation ne connaissait pas l’écriture. Le tatouage jouait alors un rôle social important. Il peut être utilisé à titre de séduction, pour démontrer son pouvoir ou en guise de mémoire. A vrai dire, chaque motif avait sa signification. Il pouvait indiquer où l’individu se situe dans la société. Il était de coutume que le corps des chefs soit intégralement tatoué. Leurs femmes se voyaient également se faire des tatouages intégraux. Ainsi, les tatoueurs avaient de grandes habilités pour retranscrire les vies des polynésiens à travers leurs tatouages. Chaque tatouage polynésien était un art à part entière.
L’arrivée des européens a marqué le commencement de l’acculturation des polynésiens. Vers le 19ème siècle, le vrai tatouage polynésien se faisait déjà très rare et il ne restait pratiquement que des reproductions de motifs sur des supports comme du papier ou des toiles. La prise de l’archipel par la France en 1842 marquait un tournant majeur dans la vie des polynésiens. Dans le but de convertir la population au catholicisme, la plupart des pratiques ancestrales avait été interdite, notamment le tatouage. Le Patutiki est le nom donné au véritable tatouage marquisien. Il est l’accolade des mots « patu » qui veut dire « frapper » et « tiki » qui veut dire « image ou figure ». Quant au tatoueur, il est appelé « tuhuna patutiki ». Chez les marquisiens, devenir un vrai tuhana patutiki nécessitait un long et exigeant apprentissage. Il est très courant que les techniques se transmettaient de père en fils. En plus des différentes techniques, le tatoueur connaissait également toutes les rituelles et les actions à faire pour avoir la bénédiction des divinités. Il avait également une connaissance parfaite des différentes formules et remèdes pour guérir les blessures. Durant le rituel du Patutiki, le sang qui coule entre en contact avec le tatoueur. Ce sang devenait alors « tapu » qui veut dire « sacré ». Afin d’avoir les faveurs des dieux ainsi que leurs bénédictions, des précautions étaient nécessaires ainsi que des offrandes. Pour remercier le tuhuna patutiki, il était d’usage de lui offrir des étoffes, des nattes, de la nourriture ou des objets prestigieux. Selon les coutumes marquisiennes, il revient au chef du clan de prendre en charge le premier patutiki de son fils ainsi que tous les garçons de la même génération.
Le Patutiki, un procédé unique.
En dehors de l’aspect rituel, ce qui distingue le Patutiki c’est dans la technique utilisée pour poser les tatouages. Les Îles Marquises étant le territoire le plus habité de la Polynésie française à l’époque, le tatouage marquisien avait une très grande importance et pratiquement toute la population était tatouée. C’est pourquoi, le tatoueur était un vrai spécialiste en la matière et surtout un grand artiste qui savait exactement quel motif inscrire selon la personnalité, l’histoire ou le rang social de l’individu. Selon les dires, le tatoueur pouvait invoquer les divinités pour le guider dans ses actions.
Le tuhuna patutiki, en tant que spécialiste tatoueur, devait lui-même fabriquer tous les outils dont il avait besoin pour pratiquer son art. Il confectionnait également une boîte faite en bambou, le « pukohe taa patutiki », dans laquelle il les entreposait pour les conserver. Parmi ces outils, il avait un peigne à tatouer, le taa patutiki. Il était en forme de petite hache dont la tête était munie d’une lame dentelée, un os, une arête de poisson ou une écaille de tortue. Pour maintenir cette lame sur le manche en bois, un lacet en fibres végétales était utilisé. Le tatoueur avait une quinzaine de taa patutiki qui différaient par leurs tailles. Il variait alors le type de peigne utilisé en fonction de la surface tatouée ainsi que des inscriptions à poser. Les plus petites étaient surtout destinées à dessiner des motifs nécessitant une plus grande précision.
Lors de la pose du tatouage, le taa patutiki était imprégné de pigment. La peau est frappée avec ce peigne préparé à l’aide d’un maillet en bois, le kouta patutiki. Cette action est appelée « patu ». Pendant son travail, le tatoueur maintenait le peigne dans sa main gauche ainsi qu’une petite étoffe pour essuyer le sang. Le pigment utilisé est également fabriqué par le tuhuna patutiki et est obtenu à partir de suie de noix de coco diluée dans de l’huile de coco. Petit à petit, le motif, appelé « tiki » est dessiné sur la peau. C’est ce qui donne son nom et son authenticité à cette technique de tatouage dont l’invention est entièrement marquisienne.
Le tatouage marquisien traditionnel avait un aspect collectif. Le fils du chef du clan était tatoué en premier mais au même moment que les autres garçons de sa génération. La patutiki ne se déroulait pas au village mais dans une petite construction en bambou recouverte de feuilles appelée « patiki » montée plus loin. Avant de poser le patutiki, une festivité est organisée avec les aînés de la famille du futur tatoué ainsi que ses amis. Ces invités buvaient une boisson stimulante appelée « kava » et se voyaient également offrir de la nourriture. Des tambours et des conques sonnaient pour annoncer au village que le rituel du patutiki commençait et que les femmes doivent se mettre à l’écart. La cérémonie du patutiki peut durer jusqu’à 2 semaines pendant lesquelles les jeunes tatouées subissent une réclusion appelée « tapu ». Une fois le tatouage fini, les tambours sonnaient à nouveau pour marquer la fin du rituel. Le tapu étant levé, la vie peut reprendre son cours normal. Les jeunes tatoués se cachaient pour rentrer chez eux. Leurs corps étaient imprégnés de suc et de feuilles afin que les tatouages se mettent en valeur. Après quelques semaines, une grande fête est organisée, c’est le « koika tuhi tiki » pendant laquelle les motifs étaient enfin dévoilés devant tout le village. Le fils du chef dansait le haka tuhi tiki pour montrer ses tatouages.
Concernant les femmes, elles avaient également droit à leurs tatouages suivant les mêmes rituels que les hommes. Elles se voyaient poser leurs patutikis après la puberté par un tatoueur qui restait toujours un homme. La seule différence avec les hommes c’est que, pendant la fête du koika tuhi tiki, elles dansaient entièrement nues. Cette pratique soulevait l’idée du caractère érotique pour le tatouage des femmes et guerriers pour celui des hommes.
Le patutiki, différent des autres tatouages polynésiens
De nos jours, il est très courant que le patutiki soit mélangé avec les autres tatouages de la région. En effet, avec le temps, tous les tatouages polynésiens étaient regroupés dans un même style. Cependant, chacune des localités composant la Polynésie avait leurs propres styles de tatouage. La raison de cette confusion est que les motifs tendent à être similaires. Pourtant, les procédés, les rituels ainsi que les symboles diffèrent entre chaque tribu.
Le tatau est par exemple l’appellation du tatouage Tahitien. Il faut savoir que Tahiti est une île et se trouve donc éloignée des autres îles de la Polynésie. Si les technologies actuellement permettent de se déplacer d’île en île facilement et rapidement, ce n’était pas le cas avant. Le transfert de culture était alors difficile.
On peut également citer le tatouage Maorie, le tatouage Samoa, ainsi que d’autres styles typiques à chaque localité.
Le Patutiki et l’ère moderne.
Il faut avouer que le passage des occidentaux, notamment la prise de la Polynésie par la France avait freiné le développement des cultures polynésiennes. La plupart des coutumes étaient interdites car ne se conformaient pas à l’éthique sociétale européenne. Cette acculturation s’est également manifestée par le transfert de certaines coutumes hors de la Polynésie. Grâce à l’intervention de plusieurs occidentaux, une partie de ces créations ancestrales ont pu être sauvegardées sur des feuilles de papier, des photos, ou autres supports. Le début des années 1970 se voyait également être une période de regain du patutiki. Par ailleurs, des descendants marquisiens situés un peu partout dans le monde renforcent actuellement le développement du tatouage ancestral. En territoire marquisien même, certaines tribus perpétuent cet art bien qu’il soit fortement influencé par la mondialisation.